« Le Traquenard » de Jean Boustani et Erwan Seznec (Résumé du Livre)
« La manipulation des élites est encore plus facile que celle des masses »
Jean Yanne, acteur, humoriste et réalisateur français, 1933-2003
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Les auteurs
Jean BOUSTANI : Il est né à Tripoli, au Liban, en 1978. Peu après, sa famille fuit la guerre qui ravage son pays. Il y revient à la fin des années 1980. En 2000, il intègre le cabinet Deloitte à Abu Dhabi. En 2005, il fait la connaissance d’Iskandar SAFA, fondateur du groupe de construction navale Privinvest (qui possède des chantiers en France, en Allemagne et à Abu Dhabi), fabricant des yachts de luxe, des bateaux de commerce et des navires militaires. Il rejoint ce groupe en 2008 pour développer ses affaires en Afrique. Il approchera le Mozambique en 2011 afin de lui proposer une offre intégrée (navires, radars, communications). [Sources : Livre « le traquenard » – extraits]
Erwan SEZNEC : Journaliste français, il a travaillé à La Tribune et à Marianne, puis a passé huit ans à Que Choisir où il était en charge des enquêtes économiques. Journaliste indépendant, réputé pour ses enquêtes sans parti pris, il a collaboré à Histoire secrète du patronat (30 000 exemplaires, La Découverte, 2014) et est également l’auteur de Syndicats, grands discours et petites combines (Hachette Littératures, 2006). [Sources : Lisez.com et babelio.com ]
Notes liminaires :
Ce livre est un nouveau témoignage sur la machine à broyer américaine. L’administration fédérale de cette nation impose son impérialisme au monde entier. Après le témoignage poignant de Frédéric Pierucci (Le piège américain), il ajoute un clou au cercueil de l’illusion pour tous ceux qui croit encore à l’universalisme désintéressé de l’oncle Sam. Il nous confirme la face cachée d’une Amérique qui, sous couvert de Démocratie, de Liberté et de Justice, vise à un seul objectif : « America First »… quitte à trahir les idéaux portés par la Nation. A la lecture de cette nouvelle « affaire », nous découvrons un peu plus comment les règles de Droit et celles des libertés individuelles sont contournées par l’administration américaine pour parvenir à ses fins. Mais ce nouvel opus nous offre aussi une lueur d’espoir : il nous indique comment résister à la pression implacable d’une administration judiciaire américaine qui joue de la peur qu’elle inspire auprès de ses victimes ; il nous dit comment la vérité peut triompher de la manipulation et de la perversion des faits dès lors que le combat est mené jusqu’au bout. Certes, Jean Boustani a bénéficié d’atouts majeurs qui ont fait défaut à Frédéric Pierucci. Mais ces deux témoignages nous montrent la voie à suivre dorénavant … donc, préparons-nous !
Bonne lecture
1 Jean BOUSTANI, vous êtes en état d’arrestation …
1er janvier 2019, aéroport de Saint-Domingue. Jean Boustani, qui vient passer quelques jours de vacances sur l’ile, est arrêté et menotté par la Police locale et, sans explications, renvoyé immédiatement en France via un vol transitant par New-York. Il atterrit donc à l’aéroport Kennedy où il est à nouveau arrêté et menotté par des enquêteurs du FBI. Pourquoi ? Parce que l’Oncle Sam veut l’entendre sur ses affaires avec le Mozambique. Incroyable ! L’administration américaine, en dehors de tout cadre légal, a procédé à l’enlèvement d’un ressortissant étranger dans un pays étranger, alors que ce dernier et ses affaires au Mozambique n’ont aucun lien avec les Etats-Unis !
Le système d’enregistrement des passagers aériens permet au FBI de suivre les personnes qu’ils mettent sous surveillance. Or Jean Boustani a été mis en accusation dès décembre 2018, sans qu’il en soit lui-même informé, ni même Interpol. Ses traces électroniques/informatiques était dès lors suivie par l’Oncle SAM.
Les enquêteurs du FBI qui l’auditionnent détiennent déjà tous ses échanges de messages personnels et professionnels. Comme Jean Boustani utilise Gmail, par commodité, Google a pu fournir au FBI, sur injonction, l’ensemble de ses correspondances. C’est légal aux USA, notamment depuis le vote du « Cloud Act » en mars 2018.
Présenté au Tribunal, l’acte d’accusation précise qu’il est « poursuivi pour blanchiment d’argent, fraude électronique et corruption ». Les faits reprochés par le DOJ (Department of Justice) s’étendent de 2013 à 2018.
Le DOJ, dans un document de 47 pages, affirme que Jean Boustani est « le pilier d’un groupe de conspirateurs qui ont développé des projets maritimes dans le seul but de lever de l’argent pour s’enrichir eux-mêmes en détournant 200 millions de dollars ». De fait, ce détournement de fonds empêchait le Mozambique d’acheter du « matériel de qualité ».
Jean Boustani refuse de coopérer car il sait que le patron de Privinvest « ne le lâchera pas » et que c’est réciproque. Il plaide donc « non coupable » !
Parallèlement, dès le 28 décembre 2018 et à la demande des USA, l’ex-ministre des Finances du Mozambique, M. Manuel Chang, est arrêté à l’aéroport en Afrique du Sud, alors qu’il se rendait à Dubaï. Et le 4 janvier 2019, c’est au tour de 3 anciens banquiers du Crédit Suisse d’être arrêtés à leur domicile Londonien. Cinq arrestations en tout mais des suites différentes : les ex-banquiers ont tout de suite coopéré avec le DOJ américain en acceptant de témoigner contre Jean Boustani … ils ne seront donc pas incarcérés !
2 Il y avait pourtant des signaux faibles …
Dès 2016, les médias ont commencé à parler « de la dette cachée du Mozambique », reprenant les propos du Président d’alors, M. Filipe Nyusi et mettant en cause le matériel et l’honorabilité de Privinvest. Bien que les faits soient infondés, la mayonnaise a pris et en 2019, la majorité des médias, notamment américains et français (qui reprennent sans vérifier les propos de leurs homologues anglo-saxons), et des ONG, décrivent invariablement un fond de corruption dans cette affaire. Mediapart produira un long article à charge… sans preuves !
Jean Boustani sait qu’il n’y a pas eu de corruption ni d’investisseurs floués. Le Mozambique a bénéficié des technologies et des matériels sophistiqués de Privinvest. Pourtant, plutôt que de réagir à la diffamation, le groupe a préféré garder le silence pendant tout le temps du « Privinvest Bashing ».
3 Retour en arrière … l’Afrique, le nouvel Eldorado ?
Le Mozambique, vaste territoire de 800.000 km2, a été une colonie portugaise de 1498 à 1975. Au début des années soixante, les mouvements anticoloniaux entrainent la naissance du Front de Libération du Mozambique (Frelimo) qui finit par asseoir son emprise sur une large part du territoire national bien avant l’indépendance, qu’il acquiert le 25 juin 1975. Le Frelimo devient Parti Unique et se tourne vers la Russie et Cubas pour assurer son développement.
Mais les USA, l’Afrique du Sud et la Rhodésie, pro-occidentaux, mettent en place une contre-révolution, la Résistance Nationale Mozambicaine (Renamo). Il s’en suivra une guerre civile dévastatrice jusqu’en 1992. Pour autant, la fracture idéologique du départ (Capitalisme contre Marxisme) n’a pas survécu à la réalité locale et dès le milieu des années 80, il ne s’agissait plus que d’une lutte pour le Pouvoir, ou chaque acteur étranger jouait sa propre partition. Le chute du mur de Berlin et la libération de Nelson Mandela ont provoqué l’arrêt des hostilités au Mozambique, ainsi qu’un accord de paix entre Frelimo et Renamo qui conduira aux premières élections du pays en 1994. Le Frelimo remporte les élections, les réfugiés rentrent au pays et petit à petit l’économie du pays décolle. Dans les années 2000, de grands gisements de gaz naturel sont découverts en mer, dans la zone économique exclusive (ZEE – 370 km) du Mozambique, ce qui lui confère un « droit souverain d’exploitation » de ces ressources. D’autant que le volume estimé le place d’emblée dans les premiers rang des pays « gaziers ». Parallèlement, l’extraction d’une nouvelle veine de rubis, du charbon et de la bauxite confirment que le Mozambique a tous les atouts pour réussir. Le FMI, en 2014, y organise une conférence sur « l’Afrique qui monte ».
Mais le pays souffre, d’une part, de services publics délétères et d’une production agricole anémique, et d’autre part, de la piraterie et des trafics en tous genres (êtres humains, héroïne, braconnage, pêche illégale des flottes étrangères). Si les richesses sont à portée de main, encore faut-il pouvoir investir pour les exploiter, tant en infrastructures qu’en moyen de sûreté/sécurité pour les protéger …
Le Président Armando Guebuza (2004-2014) sait que les richesses du Mozambique attisent les convoitises, et que l’exploitation du gaz et des ressources naturelles du pays, sur 3000 km de côte, ne peut se concevoir sans en assurer la sécurité.
4 Privinvest apporte une solution « clé en main » au Mozambique
Pour 2 milliards de Dollars, le projet présenté au Président Guebuza comprend, entre autre, 3 chantiers navals, 16 stations de surveillance côtière, 6 avions de reconnaissance, 3 trimarans de surveillance à long rayon d’action, 42 navires intercepteurs, 24 navires de pêche au thon … et un système de surveillance par satellite. Avec maintenance, formation et transferts de technologies inclus. Mais même si les bateaux peuvent embarquer de l’armement, Privinvest ne vend pas d’armes et laisse libre le Mozambique de choisir ses fournisseurs. Ce n’est donc pas un contrat d’armement. Mais cela permet au pays d’assurer lui-même la sécurité de sa ZEE et des entreprises qui l’exploiteront.
Grace à son réseau et au lobbying déployé, Jean Boustani fini par convaincre le Président Guebuza. Seule ombre au tableau, son intermédiaire, Teofilo Nhangumele, a sollicité par deux fois de l’argent pour faire avancer le dossier. Or Privinvest n’avance jamais d’argent à ses intermédiaires pour ne pas tomber dans le piège des pots-de-vin et donc de la corruption. Teofilo Nhamgumele obtiendra légalement « 5% sur le montant des contrats qu’il a aidé à conclure, soit 8,5 millions » de dollars.
En attendant, le Mozambique, lui, n’est pas en mesure de payer « cash » ces équipements. D’où le recours à un prêt bancaire auprès du Crédit Suisse, tout en respectant le plafond d’endettement imposé par le FMI. Après des mois de consultation avec tous les membres et entités du gouvernement, en janvier 2013, le contrat est signé et une société est montée à cette fin : ProIndicus, contrôlée à 50/50 par le ministère de la Défense et les services de renseignement du Mozambique. En février, suit la signature de l’emprunt entre cette société et le Crédit Suisse. Le décollage commence, tant pour la construction des navires de surveillance que pour les projets d’implantation des grands énergéticiens du gaz et du pétrole. Et le Mozambique rembourse dès le départ ses échéances. Il faut dire que les banques s’arrachent ses obligations d’État.
5 Agir en toute transparence et ne rien cacher
Comme certains des chantiers de Privinvest sont en France et en Allemagne, il lui faut l’accord des gouvernements de ces pays pour exporter ses matériels. En 2013, Bercy a reçu M. Manuel Chang, ministre des Finances du Mozambique, prélude à un rapprochement plus poussé entre les deux pays. Puis, c’est au tour de l’Élysée d’accueillir le Président Armando Guebuza, en France, 3 mois plus tard. Les 2 chefs d’État visiteront ensemble les chantiers de Privinvest à Cherbourg, où sont fabriqués les chalutiers, les palangriers et les patrouilleurs commandés par le Mozambique, dans le double objectif du contrat signé : un volet pêche dans la ZEE, un volet défense de la ZEE.
Le rapprochement France/Mozambique renforce les intérêts économiques et stratégiques des deux pays, proches voisins car la ZEE de la France, autour de Mayotte et des Iles Éparses, côtoie celle du Mozambique.
Si Privinvest ne vend pas d’armes au Mozambique, ses patrouilleurs et ses navires de surveillance sont conçus pour accueillir des missiles, voire des canons de 30mm. Selon le modèle, ils peuvent filer à 100 ou 130 km/h sur l’eau. En meute, ils peuvent donc s’en prendre à un très gros bateau … et même couler un porte-avion.
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Ce que ne manquera pas de questionner une dépêche de l’Associated Press (organe de presse américain) lors de la rencontre présidentielle à Cherbourg : « le deal France-Mozambique sur la vente de navires soulève des questions ! ». Sur place, au Mozambique, les attachés militaires allemand et américains s’intéressent au système de « surveillance » déployé au Mozambique. D’autant que les Chinois investissent dans ce pays et que les Russes passent des accords de coopération militaire. L’Oncle Sam voit donc d’un très mauvais œil que Privinvest vende du matériel d’excellente qualité, « capable de changer les rapports de force sur une route maritime stratégique ». La maîtrise des mers par les Américains ne saurait être remise en question ! Le Mozambique, ni personne d’autre, ne doit revêtir de costume de David. Goliath « est » et « sera » toujours « le maître du jeu » !
6 Les Américains assurent leur indépendance énergétique … le ciel s’assombrit pour le Mozambique !
Dès 2015-2016, le Mozambique va prendre de plein fouet la crise générée par l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste aux USA qui redeviennent ainsi exportateur d’énergies fossiles sans que le marché et les autres pays producteurs ne l’aient anticipé, ni réduit leur production en conséquence. Les cours des hydrocarbures s’effondrent et entrainent dans leur chute les autres matières premières.
Pour le Mozambique, c’est la catastrophe car 50% de ses recettes sont issues de l’exploitation de l’aluminium, du charbon et du gaz. Parallèlement, les Groupes étrangers gèlent leurs investissements ce qui impacte aussi les recettes fiscales du pays. Moins de recettes, difficultés à assumer le remboursement de ses emprunts : L’agence de notation américaine Fitch dégrade la note du Mozambique.
Au même moment, le pays connait des troubles internes liés aux dernières élections présidentielles et législatives, car la Renamo, toujours dans l’opposition, a doublé son score et entend affirmer son pouvoir sur 3 des 11 provinces du pays : une amorce de guerre civile, en somme ! Parallèlement, Filipe Nyusi, Ex-Ministre de la Défense qui a succédé à Armando Guebuza à la tête de l’Etat, éjecte ce dernier du parti… et entame une « chasse aux sorcières ». Les contrats avec Privinvest n’échappent pas à la chose. Il faut dire que Nyusi a été « convoqué » à Washington en juillet 2016 …
Pour alléger le fardeau de la dette, libellée en dollars, il faut la restructurée. Ce que Privinvest accepte en toute transparence. Un accord de rééchelonnement est signé officiellement, sous mandat du Crédit Suisse.
C’est alors que le jeu d’influence américain entre en jeu : en mars 2016, un document « confidentiel », qui précise que la dette est plus importante que prévue, fuite du ministère des finances. Parallèlement, la presse de l’Oncle Sam annonce un « emprunt caché ». Le jeu d’influence du FBI et du DOJ commande la position prise par le FMI et Christine Lagarde, qui désignent Privinvest comme le responsable de cette dette cachée et de la corruption qui en découle. Un grand cabinet d’audit américain, Kroll, est alors mandaté par le FMI (mais payé par l’Ambassade de Suède à Maputo ?) pour faire la lumière sur l’affaire « Privinvest ». En juin 2017, il rend un rapport biaisé, qui va dans le sens des directives de celui qui l’a commandé ! Et en novembre suivant, DOJ et FBI lancent leur attaque (enquête pour corruption) contre les banques ayant contribuées au projet « ProIndicus ». Dans la foulée et bien qu’ayant agi en toute connaissance de cause, les Fonds d’investissements américains ont déposés plaintes pour tromperie… « pour se couvrir légalement ».
7 Le procès
Il est à l’image de ce que les séries américaines nous présentent sur le petit écran. Y compris le recours à un cabinet spécialisé dans la constitution d’un Jury miroir, tel que le Dr Jason Bull (joué par Michael Weatherly) nous l’a livré sur M6 pendant 6 saisons. A l’exception de la lecture de l’acte d’accusation qui nous ferait zapper pour changer de chaîne !
Pourtant, c’est dans cette très longue tirade que le DOJ explique en quoi Jean Boustani a « acheté, trompé, menti »… bien qu’il ne puisse jouer de la même inculpation que celle qu’il avait utilisé contre Frédéric Pierucci : la corruption. La fameuse corruption prévue au FCPA (Foreign Corrupt Practises Act) qui a permis aux USA de faire tomber et/ou de racheter des entreprises françaises ou étrangères concurrentes et/ou complémentaires à celles de l’Oncle Sam. En effet, « le FCPA ne s’applique pas à un étranger pour des faits commis à l’étranger ». Mais même sans cela, le risque est grand pour Jean Boustani : jusqu’à 55 ans de prison max !
Mais son avocat a raconté une tout autre histoire, basée elle sur la vérité. Celle de l’absence de dette cachée, sachant que les investisseurs avaient acceptés en toute connaissance de cause le rééchelonnement de leur dette car ils y gagnaient beaucoup. Celle de l’absence de corruption des banquiers impliqués tant les circuits sont complexes et contrôlés. Celle de la haute qualité des matériels vendus par Privinvest au Mozambique, tant les prix ont été négociés au plus juste tenant compte du service « clé en main » et des « transferts de propriété intellectuelle ». Sur ce dernier point, l’Amiral américain Stanley Bryant, cité par la défense, aura joué un rôle important dans la fragilisation et la destruction de l’acte d’accusation, en donnant tout simplement son avis d’expert.
Mais il est vrai que le FBI et le DOJ ne pensaient pas aller jusqu’au procès et étaient persuadés que l’intimidation et le chantage suffiraient … comme dans l’affaire GE-ALSTOM !
8 Focus sur le monde de la finance
Jean Boustani résume, dans un chapitre, les mécanismes financiers en jeu. Il présente tout d’abord le marché international des obligations en un court paragraphe synthétique et clair : « lorsqu’un pays lance un emprunt, il passe par une banque » (…) qui va proposer des obligations « à des sociétés de placements » qui les placent dans des « portefeuilles de fonds spécialisés par zones géographiques (…) et par niveaux de risque (…) Les investisseurs finaux peuvent être des banques, des institutions, des fonds » de pension (…) Plus un pays est instable, plus il est rémunérateur (…) si l’Allemagne et la Suisse empruntent à (presque) 0%, le Mozambique paye 6 à 8 % d’intérêts ».
Mais tous ces investisseurs ne prenaient pas le risque d’investir dans la seule flottille de pêche au thon du Mozambique (décrit par les Tuna Bonds, émis par la banque au titre de l’emprunt du Mozambique, assimilés aux « Blue Bonds », basés sur un actif naturel et sensés être investis dans la protection de la nature). Ils pariaient sur le volet « gaz naturel et pétrole » qui y était associé. Ce montage révèle l’existence d’un double discours : celui pour les investisseurs et celui pour le public.
Jean Boustani aborde ensuite la problématique du défaut de paiement d’un pays qui peut se révéler bénéfique pour les investisseurs, qui acceptent en général un ré-étalement de la dette contre une augmentation des taux d’intérêts. De fait, avec cette affaire, les investisseurs non pas été floués, bien au contraire. Les seuls qui ont perdu de l’argent sont ceux qui ont vendu leurs obligations au mauvais moment.. comme tout spéculateur peu avisé ! D’autres, plus sereins, se sont enrichis …
Ce focus, qui a été présenté dans le détail aux jurés, a aussi contribué à démolir l’acte d’accusation du DOJ.
9 Des acteurs complices ou manipulés
Tout au long du récit, Jean Boustani fait focus sur quelques acteurs de ce mélodrame : la presse américaine, tout d’abord, manipulée par le FBI et le DOJ ; Christine Lagarde, déjà évoquée ; Borges Nhamire, responsable au Mozambique d’une ONG américaine et correspondant de Bloomberg à Maputo ; Denise Namburete, responsable d’une ONG en relation avec l’ambassade US au Mozambique ; Ngozi Okonjo-Iweala, ministre de l’économie du Mozambique, devenue directrice générale de l’OMC en 2021 … qui détient aussi la nationalité américaine ; Isaltina Lucas, directrice du Trésor du Mozambique … l’influence, le lobbying et la manipulation par l’administration américaine ont été utilisés pour empêcher le Mozambique de s’émanciper !
10 Épilogue
Sept semaines de procès, des témoins de l’accusation mis devant leurs contradictions et leurs mensonges, un DOJ décrédibilisé, qui est reparti la queue basse, créant un « précédent désastreux (…) dans les affaires de poursuites extraterritoriales » des USA. : Pour jean Boustani, tout est fini avec l’oncle Sam et il veut nous faire passer un message : « la peur du DOJ n’est pas bonne conseillère. Leur machine est rodée, mais elle n’est pas inarrêtable ». Par ailleurs, il affirme être « la preuve vivante que la justice américaine n’est pas à la botte du pouvoir (car) un jury populaire » l’a innocenté. « Les tribunaux US sont indépendants, mais le DOJ ne l’est pas ». [Ouf, nous sommes heureux d’apprendre que tout n’est pas pourri au royaume US !]
Nous sommes le 2 décembre 2019 et Jean Boustani est de nouveau libre… Il retourne le soir même au Liban.
Mais le Président du Mozambique, Filipe Nyusi, ne lâche pas prise pour autant et s’acharne, tant qu’il le peut… et fini par perdre tout crédit. Finalement, en mars 2021, c’est au tour de la Cour Suprême du Mozambique d’abandonner, à son tour, les poursuites pour corruption contre Privinvest.
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Ce livre est aussi une ode à l’intelligence culturelle, composante indispensable de l’intelligence économique. Il montre que la méthodologie anglo-saxonne, fondant la confiance des relations sur des process scrupuleusement respectés, notamment en termes de conformité, toujours plus poussée et impersonnelle, s’imposant aujourd’hui à l’occident et diffusant dans le monde entier, ne s’accommode pas des pratiques d’autres cultures dans lesquelles les relations humaines sont la clé de voute de la confiance… en fait, une grande partie du reste du monde !
Focus sur : Iskandar Safa, un homme remarquable
D’aucuns diront que la grande proximité entre Jean Boustani et Iskandar Safa ne lui permet pas d’être objectif. Pourtant, les faits rapportés dans le livre ne sont ni les propos calculés d’un flagorneur, ni ceux d’une groupie amourachée.
Iskandar Safa est un modèle inspirant en matière d’intelligence économique car il a fondé sa capacité à agir en construisant petit à petit un réseau au sein duquel les relations de confiance sont le ciment de l’édifice économique qu’il a construit.
Il appartient à une famille libanaise déjà influente et riche avant sa naissance. Ayant la double nationalité Française et Libanaise, il est diplômé de l’INSEAD. En 1975, il a 20 ans quand la guerre éclate au Liban. Il s’engage du coté chrétien jusqu’en 1978, puis rejoint la France lorsque le conflit perd tout sens (s’il n’en a jamais eu). En 1985, alors que le conflit fait rage, 4 français sont pris en otage à Beyrouth. Iskandar intervient à la demande de la France et parvient à faire relâcher les 3 survivants en 1988. Il n’a rien demandé en retour. Iskandar est un homme d’affaires, il ne fait pas de politique. En 1992, il rachète et recapitalise les Chantiers mécaniques de Normandie à Cherbourg, qui, après plusieurs plans sociaux, est alors en redressement judiciaire. Il parle autant avec les politiques de droite que de gauche en France. Il fait de même avec les familles régnantes du Golfe. Il sait faire preuve d’intelligence culturelle. C’est inné en lui !
Pour aller plus loin :
Je ne peux que vous engager à acquérir le livre car il contient de nombreuses autres informations toutes aussi importantes pour la pleine compréhension de cette affaire. Notamment celles sur les conditions de détention de Jean Boustani dans la prison américaine dans laquelle il a été placé pour le faire craquer : un modèle différent du système qu’a connu en son temps Frédéric Pierucci, mais à la finalité identique. Toutefois, son analyse du système pénitencier américain et sa description du procès retiennent l’attention, tant ils sont révélateurs de la société dans son ensemble … pour qui s’intéresse à l’histoire américaine !
Enfin, un chapitre est consacré à l’affaire General Electric – Alstom et à l’un des « otages » du DOJ, Laurence Hoskins, cité par Frédéric Pierucci dans son livre. Ce chapitre est important à lire, surtout pour ceux et celles d’entre-vous qui ont déjà lu « le piège américain » . Pour les autres, il est encore temps …
Pour parfaire la lecture de cet ouvrage, je vous invite aussi :
- A étudier « les comptes-rendus d’audition du procès » – EPGE
- A lire « le Droit – Nouvelle arme de guerre économique » de Ali LAIDI – éditions Actes Sud
- A voir le film-documentaire « Guerre fantôme – la vente d’Alstom à Général Electric » de David Gendreau et Alexandre Leraître – Along Production et LCP-Assemblée – 52 minutes
Christophe CLARINARD – 14 mars 2023